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Décrochage du portrait de Macron

« Il faut chatouiller l’honneur du Président »

Il est 16h05 lorsque Fanny Delahalle avance à la barre du palais de justice de Lyon, aux côtés de Pierre Goinvic. Les deux militants écologistes comparaissent en appel pour vol en réunion. Le 21 février dernier, ils ont dérobé, « réquisitionné », selon leurs termes le portrait d’Emmanuel Macron à la mairie du 2ème arrondissement. Le vide laissé sur le mur de la salle des mariages devait symboliser le vide de l’action climatique du Président. En première instance ils ont été relaxés. Un jugement qualifié d’« historique » et qui avait fait grand bruit.

Un long collier en perles de bois sur un pull noir, jupe bordeaux sous une longue veste gris chiné. Les doigts qui se nouent et se dénouent dans le dos trahissant la tension qui a saisi cette jeune femme de 35 ans. Dehors, un soleil printanier baigne le parvis des « 24 colonnes », comme les Lyonnais appellent leur palais de justice. Il fait 17,7 degrés ce 19 décembre. Très précisément 10,6 degrés de trop comparé à la moyenne de saison. A l’autre bout de la planète des centaines de feux de forêt dévastent l’Australie ou le mercure va de record absolu en record absolu.

La voix de Fanny est douce mais affirmée lors qu’elle s’adresse une dernière fois au président de la Cour d’appel pour revenir sur cette action, menée avec une vingtaine d’autres activistes : « Je ne l’ai pas fait par plaisir. Je l’ai fait parce que je n’avais pas le choix. Notre relaxe en première instance a été une lueur d’espoir pour tellement de gens. J’espère que vous serez cette lueur d’espoir en confirmant la relaxe. »

Quelques instants plus tôt elle avait confié aux dizaines de personnes rassemblées en soutien devant le tribunal les montagnes russes émotionnelles qu’elle a traversées depuis ce 21 février. Des hauts et des bas au rythme des évènements : décrochage du portrait, garde à vue puis perquisition de son domicile, mobilisation de ses soutiens, premier procès, relaxe, puis appel.

Une répression à laquelle elle ne s’attendait pas et qui s’est mise en route dès le lendemain de leur action. L’association ANV COP 21 (Action non-violente COP 21), qui porte cette campagne de décrochages, recense 95 personnes gardées à vue pour un total cumulé de 947 heures passées en cellule. Depuis, 64 activistes ont été convoqués devant la justice dans 22 procès différents à travers le pays. A ce jour, 134 portraits présidentiels ont disparus des salles de mariage. Le 8 décembre dernier, 100 d’entre eux ont réapparus, tête en bas, au Trocadéro, une date symbolique à (presque) autant de jours avant le premier tour des municipales.

« Vous avez combien d’adhérents ? »

Pour le président de la Cour d’appel Eric Séguy, ce 19 décembre était une journée découverte. Devant lui, deux activistes écologistes d’un genre nouveau. Ils sont membres d’ANV COP 21, une association née en 2015 à l’occasion de la conférence sur le climat de Paris. Combien compte-elle d’adhérents, s’enquiert le président. Les deux prévenus bottent en touche. L’association, composée essentiellement de bénévoles, ne perçoit pas d’adhésion et ne dispose pas de fichier de membres. « Comment est désigné le bureau ? », veut-il savoir. Ils ne le savent pas non plus. Il y a bien un bureau au niveau national mais uniquement pour satisfaire aux obligations légales d’une association loi 1901, sans aucun pouvoir de décision. Une organisation sans chef financée par des dons.

Fanny occupe un poste de chargée de mission « dans l’associatif ». Dans quelle association, veut savoir le président. « ANV COP 21 ». « A », « N », « V », répète le magistrat interloqué en espaçant les lettres, ne faisant visiblement aucun lien avec ce qu’il vient d’entendre sur le fonctionnement de cette même association. « Pour lui c’est la planète mars », glisse en sortant un magistrat.

Retour sur terre avec l’audition du premier témoin : Cécile Duflot, ancienne ministre du logement et actuelle présidente d’Oxfam France, une association de lutte contre la pauvreté, qui a fait le déplacement depuis Paris. Et la salle n’allait pas être déçue du voyage, tellement cette militante écologiste « depuis vingt ans » va laisser parler ses tripes. « Depuis 1979, les scientifiques sont formels sur le réchauffement climatique », rappelle-t-elle. « Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que ces alertes n’ont pas été écoutées depuis quarante ans. La France ne respecte pas ses propres engagements [alors que] les effets se produisent sous nos yeux. »

Porter plainte conte le Président

L’ancienne ministre évoque l’Affaire du siècle, une action en justice, engagée par Oxfam et trois autres associations contre l’État pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La pétition qui accompagne cette action a réuni 2,3 millions de signatures. La plainte a été déposée le 14 mars 2019 mais la décision n’est pas attendue avant « 2, 3, 4, 5 ans », estime l’ancienne ministre. « Vous connaissez la grande capacité protectrice de la justice administrative pour les intérêts de l’État », glisse-t-elle au président de la Cour d’appel. « Tous les ans qui passent, on s’éloigne de l’objectif de 1,5 degré. » Aux Pays-Bas, un procès similaire a abouti en 2015 à la condamnation de l’État néerlandais. Un jugement confirmé en appel trois ans plus tard.

« N’y a-t-il pas d’autres recours que le vol d’un portrait ? », veut savoir le magistrat. Cette question qui revient en creux tout au long du procès, est capitale sur le plan juridique, puisque l’état de nécessité, invoqué en première instance pour justifier la relaxe, suppose justement qu’il n’y avait pas d’autre choix. Tout a déjà été essayé, lui répond Cécile Duflot : marches pour le climat, interpellation des élus, pétitions... « Même quand les lois sont votées, les engagements ne sont pas tenus. ». Selon elle, « l’interpellation directe du président de la République est la seule action possible ». Pour l’ancienne élue qui dénonce « la responsabilité extrêmement forte » du chef de l’État, « il faudrait porter plainte contre lui pour mise en danger d’autrui ». Chose impossible en raison de son immunité pénale. « Si on peut le faire bouger en chatouillant son honneur, il faut le faire », conclut l’ex-ministre.

Puis, pour davantage étayer son propos, elle évoque le Tarn, théâtre deux fois en quinze ans d’affrontements violents autour de la construction d’un barrage. En 1998, celui de Fourogue est achevé en toute illégalité, l’utilité publique du projet ayant été annulée par la justice. « Il a été construit quand même », s’étrangle Madame Duflot. Détruisant ainsi de façon irréversible quarante hectares de terres agricoles. Quinze ans plus tard, celui de Sivens est, lui, abandonné au terme d’un long bras de fer. « Sans les gens qui ont occupé le site, le barrage aurait été construit. »

« On s’en fiche de ce portrait »

« On a besoin d’actes forts de la société et de vous monsieur le Président », avait lancé un peu plus tôt Fanny Delahalle. Des actes à la hauteur de celui de Rosa Parks, cette Afro-américaine qui avait refusé de céder sa place dans le bus à un passager blanc. « Une infraction », rappelle Cécile Duflot. Mais qui a conduit un an plus tard à l’abrogation des lois ségrégationnistes dans les bus par la Cour suprême des États-Unis.

« Parfois, les juges font changer le cours de l’histoire », insiste l’ancienne ministre. Comme Joseph Casanova en 1972, lorsque ce président du tribunal pour enfants de Bobigny refusait de condamner Marie Claude, une adolescente de 15 ans qui avait avorté quand l’avortement était encore un crime. « Il a sauvé la vie de nombreuses femmes », pointe Cécile Duflot. Puis de s’écrier : « Tout le monde s’en fiche de ce portrait ! Ils n’ont pas envie de le garder dans leur salle de bain. » Avant de regagner sa place, chose rare dans un tribunal, sous les applaudissements nourries de la salle. Une salle, il est vrai, entièrement acquise à la cause des deux prévenus.

Pas de quoi ébranler l’avocat général Philippe de Monjour, venu « faire du droit », sa « seule légitimité ». Même s’il reconnait que le « danger imminent et actuel [pour le climat] n’est pas contesté, ni contestable ». Même si le décrochage du portrait présidentiel n’est pas disproportionné à ses yeux, cela n’était pas « le seul moyen de sauver la planète et l’humanité », estime-t-il, refusant ainsi de retenir l’état de nécessité. Comme lors du procès en appel des six décrocheurs du Beaujolais en octobre dernier, il requiert 500 euros d’amende à l’encontre des deux prévenus.

« Le préjudice est nul », s’écrié de son côté l’avocat de la défense Thomas Fourrey. « L’objet vaut 10 euros. » « Le maire du deuxième [qui avait porté plainte pour vol, ndlr] n’est même pas présent à la barre ». Pour lui, il s’agit de « dénoncer un crime de lèse-majesté ». Avant de lancer solennellement au président de la Cour d’appel : « votre décision sera scrutée à l’aune des défis climatiques ».

La décision a été mise en délibéré au 14 janvier.

Photo : © Michael Augustin

Publié le : samedi 21 décembre 2019, par Michael Augustin

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